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BENITORAMA
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4 octobre 2006

Mort de José Vergara

José était anarchiste, à l’ancienne, aux convictions coulées dans le marbre prolétarien des combats du siècle. Il est mort, par surprise, son cœur arrêté tout soudain. Depuis quelques années, il n’allait plus bien, marchait avec difficulté, éprouvait des problèmes cardiaques. La mort par le cœur surprend souvent, elle m’a pris de court.

Quand on pense avoir du temps, il s’avère qu’il n’en est rien, c’est un leurre. Se tromper soi même ne sert de toute façon à rien, il demeure forcément une lucidité, même amoindrie. M’étant ancré dans la conviction, alimentée de commodité, que José vivrait encore longtemps, je ne suis pas allé le voir, trop longtemps. Il est mort, je ne l’ai pas revu.

Mon ami Michel est autant bourrelé que moi, ses larmes coulent à l’enterrement. Il nous aimait bien, Michel et moi, le vieil homme digne et toujours combatif. Tant, qu’il nous remontait les bretelles à chaque visite. Le silence nous prenait quand nous quittions sa petite maison d’un quartier tranquille et populaire de La Rochelle. Le poids de l’histoire sur les épaules, la diminution du sens de l’engagement physique.

Jeune homme, je me rêvais moine-soldat, j’en avais un devant moi, mais athée.

Si José détestait bien un courant politique, c’était le Parti communiste. Et pourtant, anarchistes et communistes, au delà des tueries qu’ils se sont infligées au cours du siècle passé ( Krondstadt, Ukraine, Espagne et un long etc. ), ont eu en commun un même engagement sacrificiel et total. Par delà tout ce qui les séparera jamais, les coups de pistolet de Durruti finançant la révolution en attaquant les banques sont-ils si différents de ceux des activistes bolcheviks avant leur triomphe de 1917 ? Staline, dans sa jeunesse, était un pistolero révolutionnaire…

José exécrait le Parti communiste et je revoie sa colère triste devant leurs trahisons espagnoles. Le POUM liquidé, la CNT corsetée et agressée, tout cela que la plume orwellienne a su porter à l’attention du public. Le XXe siècle dégouline de sang anarchiste versé par des communistes. Laissons cela. Les morts, le XXe siècle ne charrie que cela de toute façon, il aura été grandement dépensier en vies et en dignité humaines.

Quelqu’un de la famille de José appelle chez moi, je ne suis pas là, je n’ai même pas le message, on me le transmet. Tout est fait pour me couper de la réalité de cette mort, pour la dématérialiser. L’absence, le manque… et ne même pas recevoir la nouvelle en oreille propre. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. A moi et à la distance que je peux paraître instituer avec les gens. A moi et à une certaine froideur apparente. A moi et à une extrême retenue des sentiments. Ici, elle m’a coupé de la réception de la mort d’un ami. Cela n’en est que plus brutal. Je me retrouve directement confronté au cercueil. Moment ambigu. Le mort est là, mais caché aux regards. Est-ce bien lui ? Que puis-je retrouver de José en ce froid et banal après-midi rochelais ? Que m’en restera-t-il ? Les questions ne se posent pas réellement ainsi, elles affleurent tout de même. Et je les retrouverai après, lancinantes.

Je déteste l’aspect froid de cette mort moderne. Et moi, quand je serai mort, qu’en sera-t-il ? Jusqu’où aura glissé la dématérialisation occidentale du processus funéraire ?

Le soir de l’enterrement, je vois des amis, autour de Michel, je me soûle un peu seulement, c’est agréable et il faut cela. L’enterrement a été triste et sobre, cercueil et drapeau noir et rouge de la CNT, des dizaines de personnes, deux groupes qui se mêlent plus ou moins, affinités, connaissances et glas de la nostalgie : famille et « camarades » et amis. Ceux-ci aussi de deux sortes, les exilés espagnols et les rochelais, plus ou moins jeunes. Parmi les premiers, anciens de la CNT et des divers partis et syndicats de gauche espagnols y compris le PC ! Rancoeurs et disputes, polémiques, colères, affrontements politiques oubliés : José sanctifié par la mort et son intransigeance, comme figure de nostalgie évocatrice.

Enterrement sobre, rapide. Larmes. La veuve, Louisette, effondrée, repart, une fois le cercueil rouge et noir en terre, elle nous croise, Michel et moi - elle ne nous avait pas vus jusqu’alors. Elle nous embrasse, heureuses de nous voir nous deux, les jeunes amis de José, venus lui rendre - terme galvaudé mais exact ici - un dernier hommage. Puis elle s’éloigne, tassée, vieillie d’avoir perdu le compagnon d’une vie de combats.

Ils vont vivre encore ensemble dans les centaines de pages écrites par José, pages admirables et prolétariennes, sincères et souvent écrites sans souci de style ni fioritures mais l’envie de témoigner, convaincre, José autodidacte et écrivant jusqu’au bout, lisant tant qu’il pouvait. Sa bibliothèque, politique et littéraire, soigneusement classée et numérotée…

José n’est plus, comment le conserver ? Le texte. Les mots.

José, image renvoyée de mon grand-père mort, mon grand-père communiste et garde d’assaut de la Segunda Republica. Ils avaient été adversaires durant la guerre civile. Non pas ennemis mais adversaires, l’un anarchiste, l’autre communiste et il aurait même été possible que l’un tire sur l’autre, par exemple en mai 1937 à Barcelone. Guerre civile dans la guerre civile… L’une des raisons de mon attachement à José, c’est cela, cette image de mon grand-père, trop tôt perdu et auquel ce site rend hommage, mon grand-père qui n’aura même pas su que j’écrivais…

Maintenant, les deux sont morts… Et mon écriture peut, en quelques lignes pour le moment, tenter de les maintenir à flot, de les sauver de la noyade du temps. Garder un futur à son passé.

Mais le temps présent dit cela : José Vergara n'est plus là.

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